• Vaste question !

    A mon avis, le vin ne peut être naturel, puisque la nature ne saurait produire que du vinaigre ! Mais bon, le vocable existe, il fut créé pour s'opposer au vin "industriel". Soit... Il existe une association des vins naturels, tous ses membres ne sont pas vraiment sur la même longueur d'onde, mais de certains je me sens très proche.

    Le domaine Pierre Frick m'autorise à publier le texte suivant, qui illustre la position de la rigueur, de l'honnêteté et de la sagesse :


    PEUT-ON DEFINIR UN “VIN NATUREL” ?

     

    Le 2 avril 2007 les viticulteurs bios d’Alsace avaient organisé leur 4 ème rendez-vous avec les professionnels et les particuliers. 38 domaines y ont participé. Cette rencontre avec la presse et les professionnels régionaux était aussi une rencontre conviviale entre les producteurs.

    Parmi les trois ateliers organisés tous les ans, celui intitulé « vinification sans intrant » a mis en évidence des expressions très différentes entre les vins présentés sous un même vocable. Ces expressions ne résultent ni du cépage, ni du terroir, mais du mode d’élevage.

    Voici trois élevages rencontrés dans le cadre de cet atelier :

    • Une fermentation alcoolique courte, terminée l’année même de la récolte, suivie d’un soutirage et d’un sulfitage.

    • Un élevage long sur lies avec peu ou pas de SO2 avant la mise en bouteilles.

    • L’absence de SO2 pendant tout l’élevage et également à la mise en bouteilles.

    La plupart des « vins naturels » en blanc semblent suivre l’un de ces trois itinéraires variables en fonction du millésime et du cépage.

    Pour qualifier un vin de l’adjectif « naturel », il semble clair de partir d’une viticulture sans pesticide et sans engrais chimiques solubles. Les vendanges manuelles devraient être un prolongement naturel, tant pour la convivialité et la culture, que pour le respect de l’intégrité du raisin et de la possibilité de le trier. Enfin (hormis les vins effervescents) un « vin naturel » ne devrait avoir besoin d’aucun intrant, mis à part un peu de soufre. Un seul apport de soufre à la mise en bouteille, voire aucun apport, représentent l’idéal de cette démarche.

    La réalisation de cet idéal d’élaboration de vin naturel peut rencontrer des obstacles plus ou moins faciles à surmonter.

    • Reconnaissance et appréciation par les amateurs de vins.
      Quels sont pour eux les plaisirs esthétiques, culturels et physiologiques apportés par ces vins. Il y a peu de soucis avec les gens à l’esprit libre, mais ce n’est pas toujours le cas avec les prescripteurs.

    • Stockage et conservation.
      Il y a moins de soucis en circuits courts et en vente directe

    • Interrogations et difficultés quand on souhaite à la fois affirmer l’origine (AOC) et l’itinéraire d’un vin naturel (refus d’agrément)

    • Solidité intérieure et indépendance d’esprit du vigneron, face à la fragilité économique, aux loupés, aux éventuelles attaques extérieures d’une intelligentsia remise en cause par ces vins. Toute la chimie viticole et œnologique est une pseudo assurance destinée à contre carrer les peurs du producteur et des consommateurs.

    Il me semble important de bien identifier parmi les « vins naturels », ceux qui n’ont jamais reçu aucun apport de SO2 exogène. Ce sont les plus éloignés des représentations communes des amateurs de vin. Ils nécessitent souvent une véritable complicité et une compréhension de la part de l’amateur, qui devient acteur final pour l’épanouissement du vin (choix de l’aération, de la température,...), bien plus qu’il ne l’est dans la dégustation d’un vin standart, qui n’a plus de mobilité.

    Jean-Pierre Frick
    Novembre 2007

       

    RIESLING 2003 GRANDS CRUS STEINERT ET VORBOURG : DEUX ELEVAGES ET DEUX EXPRESSIONS

     

    De nombreux écrits semblent bien cerner la notion de terroir. Mais à en croire les dégustations à l’aveugle, la perception sensorielle du terroir est plus délicate.

    La fourchette de rendement favorable à l’expression du terroir se situe communément entre 30 et 45 hl/ha. Nombre de personnes s’accordent sur l’impact favorable d’un sol vivant et donc d’une culture exempte d’engrais minéraux et de pesticides.

    Les points de vue divergent quant à l’impact des fermentations aux levures indigènes ou exogènes. Les tenants des levures sélectionnées invoquent la reproductibilité.

    Le terroir, expression du sol et du sous-sol dotés de vie, n’est pas statique et immuable. L’expression du terroir est marquée par le climat de l’année, même si nous essayons par un enracinement plus profond et une vigueur maîtrisée de nous affranchir des extrêmes climatiques. Un printemps extrêmement humide ou sec agira sur l’activité microbienne du sol malgré nos tentatives de rééquilibrage par un maintien de l’enherbement ou au contraire des travaux du sol plus fréquents. On peut imaginer que la singularité liée au climat sera d’une manière ou d’une autre accentuée par les levures indigènes : elles-mêmes le subissent. Les levures sélectionnées, par contre, peuvent apporter une touche « stable », mais extérieure, parce qu’indépendantes des aléas climatiques.

    Entre le 23 janvier et le 5 février 2006, nous avons présenté simultanément deux RIESLING GRANDS CRUS (millésime 2003) aux styles très différents à plus de 400 professionnels, à Genève, à Stockholm et à Angers. Nous aurions pu imaginer qu’une majorité de ces personnes puisse préférer l’une ou l’autre cuvée. Ce ne fut pas le cas. Nous en déduisons que les représentations concernant un Riesling Grand Cru sont partagées. La moitié des dégustateurs a préféré le Riesling Grand Cru Vorbourg totalement sec avec des arômes complexes d’élevage long. L’autre moitié a opté pour le Riesling Grand Cru Steinert avec davantage d’arômes primaires et 14 grammes de sucre résiduel.

    Les deux vignes sont exposées à l’Est en mi-coteau, les deux sols sont largement calcaires et le rendement général de toutes nos vignes n’a pas dépassé 45 hl/ha en 2003. Les différences entre les deux vins proviennent essentiellement de l’élevage différent. Lui-même est conditionné par la fermentescibilité des deux moûts.

    Le RIESLING Grand Cru VORBOURG a cessé de fermenter à 11,8° d’alcool et 31 grammes de sucre résiduel. Nous n’étions pas satisfaits de cet équilibre alcool/sucre : nous avons donc laissé ce vin sur ses lies entières sans soufre en foudre plein. L’été suivant, la fermentation alcoolique a repris pour terminer finalement à 13,6% et 1,5 g de sucre résiduel en janvier 2005. La complexité aromatique révèle entre autre des notes mentholées et de l’eucalyptus, senteurs fréquentes dans les vins à cycle long (environ 20 mois sur lies entières). Parmi les saveurs, les touches minérales s’expriment avec une bonne intensité.

    En vinification conventionnelle, la fermentation d’un tel vin se relance tout de suite avec un pied de cuve de levures sélectionnées pour leur aptitude à travailler en milieu alcoolique élevé. Le vin est enrichi en « nutriments » azotés destinés aux levures ajoutées. Des écorces de levures seront également apportées pour « neutraliser » les substances inhibitrices de fermentation.

    Pour qui ne manque pas de vin, de place, de patience et de confiance, le recours aux levures finisseuses, aux nutriments et aux écorces de levure ne se justifie pas. En effet, au fil des mois hivernaux, les lies « neutralisent » naturellement les substances inhibitrices et rendent le milieu propice à un nouveau départ de la fermentation au début de l’été suivant.

    Le RIESLING Grand Cru STEINERT a fermenté à 13,3 % d’alcool et conservé 14 grammes de sucre résiduel. L’acceptation de cet équilibre a permis le soutirage dès le 5 novembre 2003. Il a reçu du soufre peu après. Le sucre résiduel ne pèse pas, il est équilibré par une belle acidité. Au fil des années, il sera encore moins perceptible sensoriellement. Au-delà de 13 % d’alcool acquis, les Riesling, paresseux en fermentation, ne repartent que très difficilement l’été suivant. Cette observation répétée nous a dicté le soutirage précoce de ce Riesling.

    Ces observations ajoutent des éclairages dans le vaste débat sur le Terroir, dont l’expression se révèle très liée au mode d’élevage du vin. L’influence du contenant (cuve inox, foudre ancien ou bois neuf) ajoute encore des variations importantes. Pour notre part, nous optons exclusivement pour le foudre de chêne ancien.

    Jean-Pierre Frick
    15/02/06

    Notule de Pierre Paillard : je partage l'avis et l'idéal oenologique de Jean-Pierre Frick, mais hélas tous les vignerons n'ont pas la même exigence. Nous en connaissons hélas qui usent à la vigne de molécules de synthèse, les moûts sont vinifiés sans sulfite ajouté (sans autre intrant ?) et ces propriétaires revendiquent haut et fort l'appellation de vin naturel ! La formule est à la mode, mais comme aucune garantie n'existe, pour pouvoir faire confiance il est nécessaire de bien connaître le vigneron ! Or, j'ai la chance d'accompagner Jean Pierre et Chantal Frick depuis 1985. Je n'ai jamais été déçu par leurs vins, j'ai souvent été enthousiasmé lors de mes dégustations et de plus je salue l'engagement écologique et le dynamisme innovateur de ces vignerons exceptionnels. Cette longue, fidèle et enrichissante relation relève non pas du "copinage" mais bien plutôt du "compagnonnage" entre personnes vouées aux mêmes exigences de qualité et de vie. De telles amitiés illuminent une existence.

     


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