• De la polarité, suivi de l'éloge des bons cavistes

    Tout domaine d'activité humaine est un champ de forces. En lui s'exprime toute la gamme des pensées, des désirs comme des pulsions. Les pôles extrêmes vont de la cupidité à la générosité, de la cruauté à la dévotion, de la prédation au don. Le monde du vin n'est pas en reste.

    Un caviste parisien que j'estime m'a confié un jour : "En Bourgogne, les moines ont créé une boisson qui nourrit l'âme et le corps, et les gens de Bordeaux ont inventé le commerce du vin". Vous me direz : "ça se discute !"  Certes ! Cependant la formule illustre bien mon propos.

    Il serait en effet naïf - fort naïf ! - de croire que le monde en expansion rapide du vin "bio", "biodynamique" et/ou "nature" est tout blanc quand le monde du vin "conventionnel" est tout noir. En vérité, le même champ de forces habite les deux.

    J'ai connu des "bios" engraissant et taillant leur vigne pour obtenir de gros rendements, lesquels diluent la matière sèche et abaissent la qualité. Et, dans ma propre famille, un vigneron "conventionnel" a toujours eu le souci de rendements raisonnables et d'une bonne expression de ses terroirs.

    J'ai connu, dans ce monde "bio", de brillants communicateurs. La moustache fringante, le regard enjôleur et le verbe fleuri, ils savaient vendre un vin finalement décevant. Et j'ai connu aussi des hommes au visage revêche, à la parole rare mais dont le vin se révélait chaleureux.  J'ai connu de franches fripouilles (pardonnez l'oxymore) et enfin des êtres dont la noblesse intérieure est toute entière incarnée dans leurs bouteilles.

    Mes lecteurs savent à quel pôle de l'activité humaine je me tiens. Bref, j'ai privilégié la droiture et toujours refusé de collaborer avec la médiocrité, encore moins avec la tricherie. Je connais certes beaucoup moins le monde des cavistes que celui des vignerons. J'en connais cependant de toutes sortes, et j'ai parfois relevé des incohérences graves. Les Biocoops qui ne proposent que du vin sous étiquette "bio" ne sont pas, hélas, la meilleure introduction à cette approche. Et que dire de cet "expert ès vins bios" (autoproclamé) qui n'hésitait pas à servir un verre empuanti de "brettanomycès", imbuvable pour tout amateur. Reste que, si l'on veut du bon vin "bio", c'est à la propriété qu'on le trouve, et bien sûr chez les bons cavistes.

    Un point essentiel est à souligner : le caviste, c'est la vitrine du vigneron. Un bon caviste n'achète jamais sur catalogue mais s'informe, va aux domaines et déguste... avant d'acheter. Il y faut de la compétence et surtout de la passion, car cela occasionne de gros frais et de la fatigue : les escapades dans le vignoble se font quand le magasin est fermé, soit les dimanche et lundi, voire pendant les vacances... et souvent au détriment de la vie familiale. Ainsi, au fil du temps, la cave s'enrichit de précieuses bouteilles, souvent en quantité limitées chez le vigneron, bouteilles que vous ne trouverez jamais dans la grande et moyenne distribution.

    Je suis frappé de voir l'évolution des plus jeunes cavistes qui, loin d'être spécialisés dans le "bio", introduisent dans leurs rayons de plus en plus de bouteilles de cette mouvance, et de qualité. Seule la qualité gustative les guide ! Un jour où j'étais en verve, j'ai dit qu'ils sont des bienfaiteurs de l'humanité !

    Et nos amis Carl, Matthieu et Ronan, dont nous apprécions la participation à nos soirées de dégustation, illustrent parfaitement la montée qualitative de cette approche du vin, respectueuse de la nature et du buveur. En même temps, le bon accueil de la clientèle démontre qu'un mouvement de fond, irréversible, gagne la société entière à l'idée de préservation de la nature, dans la recherche d'arômes et de saveurs vrais.

    C'est un plaisir pour un caviste de faire goûter un vin qu'il a déniché, en pays de Loire ou dans le Languedoc, chez un vigneron encore anonyme. Mais c'est une déception quand il apprend que tel ou tel, qui a goûté ce vin à la cave, a noté discrètement les nom et adresse du producteur, puis a acheté en direct pour économiser quelques euros.

    J'espère qu'aucun de mes lecteurs ne procède de façon aussi mesquine et,  pire, se recommande de moi lors de la dégustation offerte, sur ses deniers, par le caviste. Les achats directs et les groupements d'achats sont certes parfaitement légitimes et ce n'est pas moi qui dirai le contraire, mais nous devons avoir une vision globale du monde du vin comme du monde en général, et agir en conséquence.

    Dans notre société de plus en plus massifiée et contrôlée par les géants du marketing, appliqués à la banalisation des produits et au conditionnement du goût, les bons cavistes sont les garants de notre liberté de choix et des plus authentiques plaisirs sensoriels. Ils sont donc nos alliés et méritent notre soutien dans la concurrence très rude qui règne en ce milieu.

    Aussi, je vous invite à "saine politique". En cette fin d'année, je vous présenterai des vins offerts par nos amis cavistes et vous suggèrerai de leur rendre visite : vous trouverez sans aucun doute quelques bouteilles originales pour magnifier vos fêtes !

    Enfin, il nous est arrivé de grouper nos achats avec un caviste ou un autre. Eh bien, puisque tel vin sera désormais en vente chez lui, nous nous interdirons de le commander directement au vigneron, sauf accord exprès de notre partenaire... Cela me semble bon, juste et solidaire. Qu'en pensez-vous ? J'espère recevoir vos commentaires : je les publierai.

    TRINK !

    Pierre Paillard

    P.S : Dans le cas du vin des Cévennes de Jean-Claude Lapierre, dont je suis le découvreur, Ronan, qui vend ce vin, m'a dit ne voir aucun inconvénient à ce que nous continuions à grouper nos achats. En revanche, nous ne chercherons pas à acheter directement un vin que le caviste a découvert à ses frais.


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